Aujourd’hui un petit détour par une erreur qui comme en cuisine a fini par devenir une recette célèbre: le traitement croisé. Une recette surtout employée pour s’amuser, explorer.
Le traitement croisé ou cross-processing en photo argentique consiste à développer un film inversible (diapositive) dans une chimie prévue pour un film négatif ou inversement: développer un film négatif dans une chimie prévue pour un film inversible.
Le nom des chimies normées:
- C-41 pour la chimie d’un film négatif couleur
- E-6 pour la chimie d’un film inversible couleur
Le traitement croisé ou cross-processing en anglais correspond donc aux deux couples:
- Film inversible + C-41
- Film négatif + E-6
La recette la plus appréciée est la première car un film inversible à une base translucide claire tandis que la base d’un film négatif est déjà teintée ce qui entraine une dérive colorimétrique drastique en développement inversible.
J’ai donc repris les deux films les plus abordables du marché qu’on a déjà vu pour la même raison: AGFA Precisa CT100 et ROLLEI Chrome CR200 afin de comparer leur rendu en traitement croisé.
Ces deux films inversibles ont donc été développés dans une chimie C-41 qui donne un négatif couleur:
La première chose qu’on constate c’est que la base de la CR200 en haut est plus bleu-violette que celle de la Precisa en bas. Une fois inversée on retrouvera donc cette dominante jaune-orange observée sur la CR200 en diapo.
Même scène, même lumière, même exposition: F/16. La prise de vue s’est déroulée une semaine après la précédente donc l’herbe ayant subit ~8 jours de soleil continu est un peu jaunie. Par ailleurs le ciel comporte quelques cirrostratus légers qui n’affectent pas l’exposition (F/16). Donc le ciel n’est pas d’un bleu parfait comme la dernière fois.
Prise de vue:
- Appareil & optique: Zeiss Ikon ZM plus Zeiss Biogon 35mm F/2
- Exposition: Règle du F/16 pour éviter tout problème de mesure. Ciel bleu dégagé scène plein soleil donc F/16
- Valeur d’expo. pour chaque film: CR200: 1/1000 sec. à F/8 pour EI 200, Precisa: 1/500 sec. à F/8 pour EI 100
Lignes:
- Développement normal E-6
- Développement croisée en C-41 X-Pro, balance des noirs sur la base du négatif, des blancs sur l’église
- Développement croisée en C-41 X-Pro, idem que 2. mais les tons médians ont été ajustés pour être lisibles
Bien entendu le scan est maison car les scans de labo automatisés auraient rendus toute interprétation impossible. Le développement lui a été assuré par un labo standard à qui j’ai simplement demandé de bien faire un traitement croisé.
Remarque: oui les négatifs sont sales a. je n’ai pas pris le temps de nettoyer les pétouilles pour ce test et b. les traces de perforations visibles proviennent du labo qui utilise un procédé transfert et a certainement laissé deux films passer l’un sur l’autre lors du développement ou au séchage … Ah! mon bon Monsieur …
La balance des blancs sur point noir et point blanc permet une lecture comparative des clichés, qui sont par ailleurs brut de scan en ligne 2. afin de comparer l’incidence de l’exposition (sombre/clair). Puis dans l’objectif de comparer seulement le rendu colorimétrique j’ai ajusté en ligne 3. la luminosité des tons moyens.
Première constatation: les couleurs! le traitement croisé les a fait partir dans tous les sens et ce, sans post-traitement ou filtre particulier. C’est LA raison qui rend ce procédé attractif: obtenir des couleurs qu’on obtiendrait pas autrement. Si on ajoute à cela la spécificité du film, de la scène et surtout de l’éclairage, il est impossible de reproduire ce rendu par un simple programe « pousse-bouton » en numérique.
Seconde constatation: la plage dynamique, on retouve les caractéristique du négatif qui offre une plage d’exposition plus large. En revanche le contraste de l’image s’en trouve accrue.
Donc pour résumer il faut attendre du traitement croisé: des couleurs assez irréelles et un constraste élevé.
Ce qui est fascinant c’est qu’il suffit de choisir son exposition pour choisir son rendu colorimétrique, c’est un peu comme pour un fim négatif couleur développé correctement sauf que l’incidence de l’exposition sur les couleurs du résultat est beaucoup plus accentuée.
Même exercice avec la Precisa
Enfin comparons côte à côte la CR200 et la Precisa avec les tons médians ajustés pour voir ce qui en ressort:
Puis encore les deux extrêmes que je n’ai pas montré (tons médians ajustés également):
Impossible de se décider objectivement pour l’un ou l’autre tant c’est affaire de goûts et de couleurs! Un petit point au passage, le côté « nuit américaine » obtenu par la sous-exposition de un ou deux diaphs est particulièrement intéressant. La Precisa retient une palette un peu plus bleutée que celle de la CR200 qui elle reste fidèle à sa tendance jaune-orangée.
Deux très bon films avec lesquels jouer en traitement croisé ou cross-processing. La Precisa nécesssitera un peu moins de travail sur les tons chairs que la CR200 si on veut retenir un semblant de réalisme pour la colorimétrie des portraits. Mais dès lors qu’on travaille en post-traitment il est très facile d’atténuer la dominance jaune-orangé si elle est indésirable.
Pour l’heure la Rollei Chrome CR200 est la pellicule inversible la moins chère du marché ce qui en fait un excellent film pour s’amuser en traitement croisé.
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