Cette technique de mise au point, tellement efficace qu’elle n’en finit pas de survivre, permettait aux premiers photojournalistes du siècle dernier d’être plus rapide que les meilleurs systèmes autofocus actuels.

Comment ?

En résumé ultra-condensé et tout à fait exact: en faisant la mise au point avant même de porter l’appareil à son oeil.

Plus clairement: la mise au point est faite en devinant la distance à laquelle le sujet se situe. Et ça marche ! car on se place dans un cas ou l’erreur d’appréciation de cette distance a un impact relativement faible sur le résultat.

Tout repose sur une bonne compréhension de la notion de profondeur de champ. Pour rappel la profondeur de champ c’est l’étendue du champ de netté acceptable d’une scène. En d’autres termes c’est l’intervale de distances dans lequel l’image est nette. Petit rappel visuel :

 

Illustration Profondeur de champ photo argentique

 

Plus la valeur de l’ouverture du diaphragme est petite et plus la zone de netté ou la profondeur de champ est petite. Autrement dit plus on ferme le diaphragme plus on a de profondeur de champ.

Une mise au point hyperfocale, ou pour être exact à la distance hyperfocale, est un cas particulier de la profondeur de champ. Dans le cas d’une mise au point à la distance hyperfocale le champ de netté s’étand jusqu’à l’infini. Mais ce champ de netté débute à une distance qui n’est pas nulle et dépend de l’ouverture du diaphragme choisie.

 

Illustration: Profondeur de champ à la distance hyperfocale photo argentique

 

Quand on fait la mise au point à la distance hyperfocale la zone de flou à l’avant plan est d’autant plus grande que le diaphragme est ouvert.

Décider de travailler à l’hyperfocale c’est faire le choix d’un plan de netté qui va jusqu’à l’infini. La seule décision qui reste à prendre c’est la distance à laquelle ce plan de netté acceptable commence.

En dehors de la focale (on considère un travail en focale fixe i.e. pas d’optique zoom) cette distance dépend uniquement de l’ouverture du diaphragme.

 

Cas d’une mise au point à la distance hyperfocale de 20m pour un diaphragme de F/4
tout sera net de ~9.5m jusqu’à l’infini (objectif leica Summicron 50mm)

 

Mise au point hyperfocale à F/4 photo argentique

 

Cas d’une mise au point à la distance hyperfocale de ~4.8m pour un diaphragme de F/16
tout sera net de ~3.2m jusqu’à l’infini (objectif leica Summicron 50mm)

 

Mise au point hyperfocale à F/16 photo argentique

 

L’énorme inconvénient de faire un tel choix (mise au point à l’hyperfocale) quand on veut faire démarrer la zone de netté à une distance proche, c’est qu’on se retrouve avec des ouvertures de type F/11 ou F/16. Ce qui induit des vitesses d’obturation relativement faibles.

Ce n’est pas un souci sur trépied pour faire du paysage, mais à main levée pour capturer des sujets mobiles c’est une autre histoire. Bien souvent on se retrouve limité par la vitesse d’obturation qu’induit le choix de l’ouverture.

Pour la photo de personnes en mouvement une vitesse d’obturation élevée est importante pour éviter les flous artistiques inopinés. Donc on se retrouve à devoir ménager la chèvre et le chou ou plutôt le diaphragme et la vitesse.

C’est là qu’intervient le « zone focusing »: en limitant la fermeture du diaphragme on limite la baisse de la vitesse d’obturation mais on se retrouve aussi avec une profondeur de champ moins importante.

D’où l’idée géniale de détacher la profondeur de champ de l’infini. En effet si mes sujets se situent dans une zone de 3 à 8 mètres je gagne 2 diaphragmes par rapport à F/16 et donc 2 crans de vitesses (deux « diaph. équivalent vitesses »), et tout sera net dans cette zone de 3 à 8 mètres (c’est le cas du deuxième exemple ci-dessous).

 

Cas d’une mise au point en Zone Focusing pour un diaphragme de F/11
tout sera net de ~2.5m jusqu’à 10m (objectif leica Summicron 50mm)

 

Mise au point en Zone Focusing à F/11 photo argentique

 

Cas d’une mise au point en Zone Focusing pour un diaphragme de F/8
tout sera net de 3m jusqu’à ~8m (objectif leica Summicron 50mm)

 

Mise au point en Zone Focusing à F/8 photo argentique

 

C’est tout: le Zone Focusing c’est ni plus ni moins cela: préparer la mise au point pour un sujet situé dans un intervalle de distance prédéterminé.

Par extension rien n’empêche de tenter de faire une mise au point manuelle pour être sûr de ne pas se tromper dans l’estimation des distances. Et compte tenu d’une profondeur de champ relativement large on a peu de chance de mettre à côté. La preuve:  à F/8 on a ~5 mètres de marge de manoeuvre pour la mise au point sur un sujet situé à ~4m de l’appareil photo. Il faut vraiment se planter pour mettre à côté de la plaque …

C’est pourquoi la phrase « F/8 and be there » (« F/8 et soit là » en bon français) fut pendant longtemps le leitmotiv des photojournalistes. « F/8\ » pour: ne prend pas le risque d’une mise au point difficile. « Soit là » pour: le plus important espèce d’#?*! n’est pas  la photographie mais ce qu’elle raconte … tout un programme …