Je l’ai évoqué dans l’article sur le facteur de filtre: les filtres de couleur sont un excellent moyen de modifier le rendu d’une pellicule argentique noir et blanc.
Il existe des filtres de toutes les couleurs mais les plus utilisés, et donc les plus répandus, sont le jaune, orange et rouge. Chacun d’entre eux filtre la lumière visible de façon différente. Dans le schéma suivant nous voyons comment ils affectent le spectre lumineux.
J’ai représenté grossièrement la courbe de transmission du filtre, où une transmission à 0% signifie qu’aucune « lumière de cette couleur » ne passe à travers le filtre. Alors qu’une transmission à 100% signifie que toute « la lumière de cette couleur » passe à travers le filtre. Ma terminologie n’est pas du tout scientifique, elle n’a pour seul objet que de faire comprendre le principe, Il en va de même pour les valeurs idéalisées de transmission à 0% et 100%.
Quoiqu’il en soit cette caricature reste néanmoins très proche de la réalité.
Les filtres de couleurs sont en majeure partie utilisés dans le cadre de la photo de paysage où même les modifications les plus extrêmes ne sont pas choquantes pour l’oeil. On y recherche en priorité les altérations de tonalité pour les ciels et la végétation. Quand au portrait l’utilisation des filtres de couleur doit y être plus subtile afin d’éviter les visages « délavés façon fantômes » qu’on obtient facilement avec un filtre rouge.
Il faut bien garder à l’esprit que l’utilisation d’un filtre de couleur à la prise de vue n’est pas du tout reproductible en chambre noire lors du tirage, comme on l’entend parfois. Il ne suffit pas d’augmenter le contraste sous agrandisseur pour obtenir le même effet.
Les tirages d’essai ci-dessous réalisés sous agrandisseur en sont la preuve, les deux de gauche sont du même cliché non filtrés:
L’image n’a d’autre valeur que celle de l’exemple, faite à main levé, à la va-vite tout comme le développement et les tirages qui sont affreux. Mais bon, je ne me voyais pas perdre un temps déraisonnable pour faire une démonstration si triviale. De plus je n’avais qu’un bout de pellicule de Pan-F à ce moment là, une fin de bobine (je bobine la quasi totalité de mes films 35mm, cf article bobineuse et économie). Un film moins contrasté aurait sûrement été plus conventionnel pour cette démo (les résultats n’auraient que peu dévié).
Bref du travail de cochon mais qui a le mérite d’ouvrir les yeux sur la réalité des effets, et cela sans ambiguïté. 4 clichés ont été fait, le premier non filtré, a été tiré deux fois: avec un grade 2, puis un grade 3 (ce qui augmente le contraste du tirage c.f. article sur l’introduction aux papiers photos). Le second a reçu un filtre jaune devant l’objectif de l’appareil photo, le troisième un filtre orange et le quatrième un filtre rouge. A chaque fois j’ai tenu compte du facteur de filtre pour ajuster mon exposition.
Ce sont des tirages directs, donc sans aucun masquage, je n’ai ajusté les temps de tirage que d’un quart diaph. afin de récupérer la marge d’erreur lors de l’exposition ajusté du facteur de filtre. on est donc dans les « pouillèmes » d’ajustements invisibles sur l’image ci-dessus. Bref on est vraiment sur une base de comparaison valable. Et on voit immédiatement que le bâtiment en arrière plan ne change pas de tonalité d’un cliché sur l’autre. C’est normal car sa couleur est quasiment blanche.
La valeur didactique de cette image sans intérêt réalisée soleil dans le dos est la suivante: l’avant plan sous la statue au cheval, est situé à l’ombre, alors que l’arrière plan: ciel et bâtiment en pierre de Paris (couleur claire: blanc-jaune), lui est en plein soleil. Les deux plans sont donc éclairés par une lumière de couleur différente. Je reviendrai sur la couleur de la lumière dans un autre article. L’avant plan à l’ombre est essentiellement éclairé par le ciel et donc reçoit une lumière décalée vers le bleu.
Quelles sont les conclusions évidentes à en tirer?
Tout d’abord il est évident qu’augmenter le contraste du tirage en employant un grade plus élevé, ici un grade 3 au lieu d’un grade 2 utilisé dans le cliché de référence (à gauche), ne permet pas de reproduire l’effet d’un filtre de couleur employé à la prise de vue. Le ciel reste inexorablement clair, et il s’éclaircirait encore si on poussait le contraste du tirage un peu plus loin.
Ensuite on constate que l’effet le plus remarquable se produit sur la tonalité du ciel. En effet celui-ci s’assombrit nettement plus on tend vers le filtre rouge. Cela est compréhensible dans la mesure où le filtre de couleur laisse passer sa couleur de référence et bloque sa couleur opposée en quelque sorte. Ce qui est un moyen de compréhension un peu plus accessible que la lecture de la transmission spectrale (plus haut dans l’article) dont le mérite est de refléter plus exactement le comportement du filtre.
Selon cette approche le rouge bloque le cyan (couleur quasi exacte du ciel) et donc a le meilleur pouvoir assombrissant sur le ciel. Le orange bloque le bleu-cyan et le jaune bloque le bleu-violet. De fait à mesure qu’on s’éloigne d’une couleur opposée équivalente au cyan on bloque de moins en moins la lumière du ciel. Un filtre jaune aura donc un effet moins dramatique qu’un filtre rouge concernant l’assombrissement du ciel.
Un dernier point important à retenir c’est l’impression de contraste accentué qu’il ressort des photos faites avec un filtre de couleur. C’est une impression légitime en effet: les ombres sont encore un peu plus bouchées. C’est d’ailleurs de là que vient une mauvaise idée assez répandue qui déclare que somme toute utiliser un filtre de couleur revient à augmenter le contraste à la prise de vue et donc qu’il est inutile de s’embêter dès le début. Car à la fin il suffira de tirer avec un grade plus important (un contraste plus fort) pour avoir un effet similaire.
Tout d’abord on constate que c’est faux. On a bien vu qu’augmenter le contraste revient à éclaircir le ciel dans notre cas. C’est un premier point, mais ce qui est intéressant c’est le pourquoi. Pour le ciel c’est évident, c’est la couleur opposée au filtre, mais il ne faut pas oublier que le filtre rouge élimine toute la lumière bleue et cela inclue également celle qui éclaire les ombres. Il est donc normal que les ombres s’assombrissent également. On retombe bien sur nos pattes, un filtre de couleur n’augmente pas le contraste: il supprime bien une partie du spectre lumineux.
Je termine sur une remarque: pourquoi voudrait-on assombrir le ciel ? En dehors de choix purement esthétiques cela permet surtout de bien faire ressortir les nuages lorsqu’ils sont présents. On accroît ainsi la séparation tonale entre deux sujets en utilisant leur différence de couleur: le ciel, cyan, contre les nuages, blancs.
Pourquoi le ciel est-il bleu et les nuages sont-ils blancs? C’est une question qui dépasse le cadre de la photo argentique… mais c’est une question très intéressante néanmoins! Le schéma sur le bleu du ciel fournit un élément de réponse…
Trackbacks / Pingbacks