Le sténopé reprend le principe de la camera obscura: littéralement « chambre noire », et lui ajoute un dispositif de capture de l’image: une surface photosensible.

La camera obscura est une découvertre marquante dans l’histoire de la photographie car c’est le premier dispositif inventé qui permet de faire apparaître une image en deux dimensions.

En effet pourquoi aucune ne forme-t-elle sur un support: papier ou un mur, situé en face d’une scène ? Prenons une feuille de papier blanc, et mettons une fleur juste en face. Pourquoi l’image de la fleur n’apparaît-elle pas d’elle même sur le papier ?

 
Illustration: Sans camera obscura: image non formée sur support 1

 

Le papier est éclairé de toutes les directions et par synthèse additive de la lumière toutes les couleurs combinées ensembles donnent du blanc. Afin de former une image il faut donc sélectionner les rayons lumineux.

 
Illustration: Camera Obscura 1

 

En sélectionnant les rayons de lumière grâce à un trou pratiqué dans la chambre noire (la camera obscura), une image peut se former sur un « écran » (façade de la chambre située à l’opposé du trou).

En remplaçant l’écran par une surface photosensible on obtient un sténopé. Une camera obscura avec une pellicule photo ou équivalent en somme …

compte tenu du mode sélection: le trou, et du fait que la lumière se propage en ligne droite, l’image se retrouve inversée: de haut en bas et de gauche à droite sur l’écran.

 

Illustration: Camera obscura, sténopé: image inversée
 

Mais tout n’est pas parfait: l’image est teintée de flou.

 

Illustration: Camera obscura, sténopé: la raison du flou

 

Le flou diminue à mesure que la dimension du trou se réduit. Pour autant que le trou ne soit pas trop grand une image discernable peut se former: les différents éléments d’une scène apparaissent bien separés.

 

Illustration: Camera obscura, sténopé: la résolution de l'image vs le flou 1
 

Plus le trou est grand et plus l’image est « pollulée » par les rayons lumineux adjacents. La lumière provenant d’un point de la fleur va se retrouver étalé sur l’écran: l’image devient de plus en plus floue.

 

Illustration: Camera obscura, sténopé: la résolution de l'image vs le flou 2
 

Dans le cas d’un trou trop grand les différents éléments d’une scène n’apparaissent plus bien separés. Ci-dessous l’image des fleurs se recouvre (tout semble donc très flou) et disparaitra si le trou s’agrandit encore.

Camera obscura, sténopé: la résolution de l'image vs le flou 3

 

A l’extrême le flou des autres points se recouvre et  se mélange sur l’écran, puis par synthèse additive des couleurs Rouge-Vert-Bleu l’image disparaît. L’écran redevient éclairé par  de la lumière blanche uniforme et apparaît donc vierge de toute image.

La solution pour réduire le flou au minimum semble donc être de réduire la dimension du trou au maximum. Malheureusement en dessous d’une certaine dimension le phénomène de diffraction de la lumière intervient. Avec la diffraction de la lumière un point lumineux devient une petite tâche lumineuse sur l’écran. Ce phénomène limite donc la résolution maximum atteignable.

Il existe donc une dimension optimale pour le trou d’un sténopé: ni trop grande ni trop petite. On peut trouver assez facilement toutes les formules nécessaires pour atteindre la perfection technique. Mais pour s’amuser il inutile de se casser la tête inutilement, car la perfection technique implique de pouvoir percer un trou à moins d’un dizième de millimètre de précision…

 

Fabrication d’un sténopé ludique

 

On peut réaliser un sténopé qui fonctionne de façon tout à fait honorable en moins de 10 minutes ! idéal pour se convaincre de la magie du procédé sans aucune difficulté !

 

Illustration: Comment faire un sténopé 005
 

Le plus simple à mon sens pour réaliser en quelques minute un sténopé sont les ustensiles suivant:

 

Illustration: Comment faire un sténopé 003
 

  1. Une boîte vide avec un couvercle (type café soluble, chocolat instantané etc …) le papier blanc ici évite la pub…
  2. Une feuille de papier noir et une paire de ciseau
  3. Un clou sans tête ou un poinçon pour faire le trou si le fond de la boîte est en métal
  4. Une tige de bois (style morceau de manche à balai)
  5. Un marteau ou un talon de chaussure
  6. Un bout de papier émeri ou papier de verre
  7. Un vieux (ou non) morceau de papier photo vierge
  8. Un révélateur et fixateur pour papier photo

optionnel:

  1. Un morceau de papier aluminium non froissé de la taille d’un gros timbre poste.
  2. Une aiguille
  3. Un peu de bande adhésive type « scotch »

 

1. Camera obscura: faire le trou

 

Dans le cas d’une boîte dont le fond est en métal. Prendre un morceau de manche à balai ou équivalent et planter le clou au sommet du manche en évasant un peu le trou. Ensuite on enlève le clou, on le retourne et on le remet dans le trou avec la pointe dirigée vers l’extérieur. C’est tout l’intérêt d’avoir un clou sans tête.

 

Illustration: Comment faire un sténopé 015
Illustration: Comment faire un sténopé 016

 

On a donc un manche au bout duquel est planté un clou. Il va nous servir de poinçon pour faire le trou dans le fond de la boîte depuis l’intérieur vers l’extérieur. Selon l’épaisseur et la dureté du métal on peut soit pratiquer le trou en faisant tourner notre poinçon soit donner un petit coup dessus, à la main, au marteau avec une chaussure etc …

Quand le trou est fait, à l’exterieur on peut poncer le pourtour du trou à l’aide d’un papier de verre pour que le métal poussé par le poinçon soit bien plat. Ce n’est pas primordial mais un trou bien rond et bien plat améliore le résultat (l’image).

Le trou fait par le clou est suffisamment petit pour former une image. Mais il reste relativement gros pour un sténopé (dont les trous se mesurent en dixième de millimètre) pour des boites dont les dimensions sont proches de celles d’une boîte de conserve.

Si on veut un résultat encore meilleur on peut améliorer notre trou. C’est à dire le faire plus rond et surtout plus petit. Pour cela on peut très aisément faire un trou inférieur à environ 4 dixièmes de millimètre sans outillage spécial. On prend un morceau de feuille de papier alminium de type alimentaire, de la taille d’un gros timbre poste, bien plat et non froissé. On le place ensuite entre 4 à 10 épaisseurs de papier, puis on perce l’ensemble avec une aiguille à coudre.

 

Illustration: Comment faire un sténopé 004
Illustration: Comment faire un sténopé 018

 

La fonction des épaisseurs de papier est de permettre à l’aluminium de s’étaler de façon homogène et bien plate autour du trou. En plus l’épaisseur nous aide à ne pas traverser d’un coup la feuille d’aluminium, ainsi on peut faire de jolis trous bien plus petits que le diamètre de l’aiguille.

Ensuite il suffit de « scotcher » la feuille avec notre petit trou au dessus du « gros » trou fait avec le clou. En s’aidant de la lumière on voit facilement si on est en face ou pas.

 

2. Matifier l’intérieur de la boîte: la camera obscura

 

La boîte vide nous sert de chambre noire et afin d’éviter les réflexions parasites à l’intérieur de la chambre il nous faut soit la peindre en noir mat, soit plus simplement, la recouvrir de papier noir.  On obtient ainsi une camera obscura:

 

Illustration: Comment faire un sténopé 006
Illustration: Comment faire un sténopé 007
Illustration: Comment faire un sténopé 008

 

Pour se convaincre du fonctionnement de notre camera obscura à l’oeil nu, on peut placer un morceau de papier calque juste à la place du couvercle et observer l’image de la flame d’une bougie, ou d’un briquet, inversée sur le calque. Faire ceci dans une pièce sombre et bien approcher la flame du trou de la camera obscura.

 

Illustration: Comment faire un sténopé 011
Illustration: Comment faire un sténopé 012
Illustration: Comment faire un sténopé 013
Illustration: Comment faire un sténopé 014

 

3. De la camera obscura au sténopé

 

Rien de plus simple il nous faut placer une feuille de papier sensible sous le bouchon. Et afin de bien plaquer et coincer cette feuille de papier sensible on peut placer un carton (image ci-dessous) de même épaisseur que celle du rebord de la boîte. Ainsi on est sûr que le papier sera fixe et maintenu bien à plat quand le bouchon sera en place.

 

Illustration: Comment faire un sténopé 009
Illustration: Comment faire un sténopé 010

 

Il suffit ensuite dans le noir ou plus simplement sous lumière dite inactinique, c’est à dire qui n’affecte pas le papier photo, de découper un morceau de papier photo (ou tout autre surface sensible) aux bonnes dimensions. La boite de papier utilisée ici a plus de 10 ans, et on va voir que ça fonctionne très bien !

 

Illustration: Comment faire un sténopé 017
 

Pour une lumière inactinique une simple ampoule de décoration peu puissante d’un rouge bien foncé fait tout à fait l’affaire. Le papier photo noir et blanc a l’avantage d’être peu onéreux et de se développer très simplement c’est donc le meilleur choix pour commencer à s’amuser avec un sténopé.

 

ampoule-inactinique-001
 

Une fois le papier placé sous le carton épais et bloqué par le couvercle, on a un sténopé entre les main: il ne reste plus qu’à exposer. On peut utiliser un autre couvercle du côté du trou pour empêcher la lumière de passer le temps d’installer le sténopé. Le trou étant petit la paume de la main suffit si on est pas trop long. Le papier photo n’est après tout que très peu sensible au regard d’une pellicule standard.

Le temps d’exposition encore une fois peut se calculer de manière très précise en connaissant la dimension du trou… Mais pour jouer quelques tests suffisent, pour ma part j’ai réussi du premier coup sans calculs, donc ce n’est pas sorcier… Quand on a une petite idée de ce que l’on fait.

 

Illustration: Comment faire un sténopé 002
 

Typiquement si on parvient à faire un trou d’environ 2 ou 3 dixièmes de millimètre, compte tenu de la sensibilité du papier (~6 ISO) on peut compter une dizaine de minutes pour  l’exposition d’une scène en plein soleil … ok c’est du doigt mouillé mais ça fonctionne … Pour faire autre chose que s’amuser il faut bien entendu creuser un peu plus la question, la documentation ne manque pas.

Pour ma part mon premier cliché au sténopé fait maison en une dizaine de minutes et exposé pendant 10 à 12 minutes (je n’ai pas visé l’exactitude) me donne ceci:

 

Illustration: Comment faire un sténopé 001
 

Pas vilain pour un tout premier cliché à la technique du doigt mouillé non ?

Pour le développer on doit bien entendu sortir le papier et travailler dans le noir complet ou dans une pièce noire éclairée par une lumière inactinique. Il faut préparer trois bains dans trois bacs séparés comme suit:

  1. Tremper pendant 90 secondes le papier dans le révélateur papier à la dilution 1+9 (chimie Ilford)
  2. Tremper ensuite pendant au moins 30 secondes le papier dans un bain d’arrêt: de l’eau avec un fond de verre de vinaigre d’alcool blanc alimentaire.
  3. Tremper pendant 5 minutes le papier dans le fixateur papier à la dilution 1+4 (chimie Ilfod)
  4. Rincer le papier à l’eau courante pendant 10 minutes
  5. Faire sécher

Bien entendu on obtient une image négative. Nous avons deux solutions pour en faire un positif:

  1. Le scanner et inverser les tons numériquement…
  2. Faire un calotype

Par calotype j’entends utiliser un autre morceau de papier photo vierge (dans le noir), poser notre cliché négatif (developpé et sec) dessus, exposer à la lumière, puis développer de la même façon. Tout ça au doigt mouillé, le but étant ici de se faire soit même la preuve du fonctionnement très simple de ce procédé. Il ne faut donc pas s’attendre au meilleurs résutats du monde mais juste à une preuve de fonctionnement.

Mais d’abord le scan et l’inversion. Première image: le négatif brut de scan, seconde: inversion brute, troisième: seuls les noirs sont abaissés pour rendre du contraste à l’image. Comme d’habitude les scans d’images tests ne sont pas nettoyés de leur pétouilles et autres poussières…

 

Illustration: Sténopé scan brut 001
Illustration: Sténopé scan brut inversé 001
Illustration: Sténopé scan brut inversé et corrigé 001

 

On note que l’image positive doit être inversée géométriquement (haut/bas, gauche/droite) pour récupérer une vue normale. Egalement: la bavure blanche, ou noire sur le négatif, à gauche provient d’une réflexion parasite à l’interieur de la chambre. Je n’ai pas assez bien découpé les bords du carton noir pour matifier la chambre et un peu de métal brillant de la boîte est resté sans protection renvoyant la lumière et grillant l’image sur le bord. Il est donc important que l’intérieur de la chambre soit bien noire et mat pour de meilleurs résultats.

Pour le calotype pas besoin d’inversion (l’inversion se produit quand on retourne le négatif) ni de scanner, ni d’ordinateur… scan brut ci-dessous:

 

Illustration: Sténopé calotype: scan brut 001
 

Alors oui bien entendu je n’ai pas le même contraste que le scan inversé et corrigé, mais c’est simplement du à la non calibration du porcessus. Je rappelle que je fais tout ça avec des élastiques et un doigt mouillé… et pour un calotype au « pifomètre » franchement il y a pire… il y a donc de la marge pour s’amuser sans trébucher sur le « matos » !

Pour le calotype au doigt mouillé, j’ai posé une plaque de verre sur les deux papiers superposés, négatif au dessus face opaque (sombre) tournée vers l’interieur du « sandwich », et j’ai ensuite allumé la lumière en comptant environ une seconde à voie haute. Pas besoin d’agrandisseur une lumière de la salle de bain suffit. Pas besoin de chrono, le jugé fonctionne, même si un compte pose sera toujours plus précis …

Dernière considération technique, la profondeur de la boîte représente la focale du dispositif optique. Donc pour une vue « grand-angle »: choisir une boite peu profonde, et pour une vue plus « télé-photo »: choisir une boîte plus profonde.

 

Conclusion

 

En version minimaliste avec un sténopé, on peut donc faire de la photographie et du tirage: sans objectif, sans obturateur, sans diaphragme, sans agrandisseur, sans chrono, ET sans ordinateur c’est pas beau ça ? De plus on revient au format intrinsèque de l’image: le format circulaire ou tondo…