Ce que j’ai retenu après ma visite de l’exposition Garry Winogrand au Jeu De Paume à Paris:
Ce bourreau de travail était un acharné: il a consommé jusqu’à 1500 rouleaux en une année soit 4 rouleaux par jours! plus de 50 000 clichés par an ! sans mode rafale, tout ça c’est du manuel, assez bluffant non ?
Mais surtout ce n’est pas pour des jobs mais pour un projet perso! combien de numéristes aujourd’hui en utilisant le mode rafale grillent plus de 50 000 clichés perso par an ? certainement très peu, en argentique je n’y pense même pas.
Audelà des chiffres cela démontre surtout l’implication personnelle totale du photographe dans son entreprise sur une longue période de temps. En d’autres termes le résultat est le fruit d’un ouvrage incessant, ce qui nécessairement est une leçon pour tout ceux qui veulent faire aboutir un projet.
L’exposition présente également la vidéo d’une conférence où Garry Winogrand répond à plusieurs questions du public. Cette séance de questions-réponses est très instructive sur son approche photographique. Je relate ici approximativement quelques unes de ses réponses.
En référence à ces nombreux clichés où l’horizon est penché (une de ses marques de fabrique) une personne demande
-« vous voyez penché ? »
-« non tout est parfait ! » répond-il ironiquement, poursuivant « c’est vous qui choisissez l’horizontale comme référence, moi je peux très bien choisir la verticale ». En comprendre que tout ça n’est que construction mentale, affaire de point de vue et qu’il n’y a pas de référence universelle.
Mais en regardant les quelques planches contact présentées lors de l’exposition, je fais ce constat: le trois quart du temps, et souvent plus, lorsqu’il travaille une scène seule les deux premiers clichés sont penchés. L’horizon se redresse au delà du troisième cliché.
Ces planches ne sont peut-être pas représentatives, mais c’est en tout cas frappant sur celles que j’ai vu.
Pour moi c’est très clair, ce photographe est avant tout tiraillé par le besoin de capturer l’instant qui le frappe en un éclair. Pour ses clichés de rue c’est particulièrement lié à mon sens au fait qu’il ne se promenait certainement pas l’appareil rivé sur l’oeil. Aucun photographe ne le fait. Il faut donc au moment où se déroule la scène porter l’appareil à son oeil, cadrer et déclencher.
Quand on est pressé c’est le rafinement du cadrage qui tire la courte paille et passe à la trappe. Et comme tout penche à droite dans la majeure partie de ses photos penchées j’en déduis qu’il déclenchait le plus vite possible en acceptant de reléguer le travail du cadre à un cliché ultérieur s’il en avait la possibilité. Ce que démontre les planches contacts …
C’est donc plus la capture de l’ambiance nue qui l’attire plutôt qu’une esthétique. De fait je ne crois pas à sa réponse évoquant une vision très personnalisée d’une horizontale. Je pense que c’est du blabla en majeure partie, même si sur certain de ses clichés la rotation semble être totalement intentionnelle. Les planches contacts ne mentent pas: quand on travaille une scène sur un parti pris au cardrage toute la série s’en ressent, ce qui n’est pas le cas sur ses planches la majeure partie du temps.
Compte tenu de la teneur de ses autres réponses, il ne se prennait pas trop au sérieux et donc cette réponse à propos de son cadrage penché très personnel est certainement du même ordre.
De la technique: très intéressant il balaie toute la technique d’un revers de main « c’est facile » dans le doute « tu sur-exposes » et dans le pire des cas « tu perds la moitié de ta pellicule, ce n’est pas bien grave ». « Souvent l’autre moitié reste tirable même si tu galères sous l’agrandisseur ». En bref ce n’est pas compliqué, il faut juste y aller. C’est tout juste s’il n’enchaîne pas: Quoi? t’es encore là?
Un autre échange amusant: « Avez-vous eu un mentor pour apprendre la photographie? » La réponse est directe « le seul mentor c’est le travail! », en gros: prise de vue, tu édites, tu vois ce qui ne va pas, tu recommences. Pour le paraphraser encore: si tu es ton plus féroce critique tu progresses naturellement grâce à ton propre travail. Question suivante!
Sérieux, c’est ça le truc dont personne ne parle et qui sonne comme une musique à mes oreilles: le plus difficile en photographie ce n’est surtout pas la technique. Le process photographique c’est simple c’est justement cela qui rend la photographie si difficile. C’est comme un crayon et une feuille, l’achat d’un « Pilot » et du meilleur « Canson » n’a jamais fait de personne un Goya …
Justement, pourquoi parle-t-on plus de matériel et de technique quand on évoque la photographie? parceque c’est FACILE. Tout comme parler des crayons c’est facile, les essayer les comparer c’est facile. Parler de comment tenir un crayon pour produire tel ou tel effet c’est également relativement facile.
C’est essentiellement ce type dernier type d’informations que j’ai livré jusqu’à présent dans ce blog: la technique. Car il faut bien commencer par le commencerment. C’est un minimum mais clairement pas une fin en soi.
Produire du bon travail ça c’est difficile. Va jouer une symphonie avec seulement trois notes à ta disposition! ce n’est pas à la portée de tout le monde. Par ailleurs parler de la production de travaux photographiques ne peut se faire que sous deux angles à mon sens.
Le premier: depuis la hauteur d’une expérience d’une production de qualité reconnue par ses confrères, on parle d’une poignée d’individus à l’échelle nationale.
Le second: depuis l’angle du partage. Ce qui permet à tout un chacun d’y piocher ce qui lui convient. C’est bien entendu la voie qui a ma préférence et celle que je continuerai à parcourir. En commençant par le commencement, donc la technique car il y a un début à tout. Mais cela ne restera pas une fin en soi. Sinon c’est comme construire un bateau sur lequel on ne partira jamais.
C’est la dernière semaine pour cette expo alors c’est le moment de se bouger. Mais il y a aussi un énorme livre – 464 pages – sorti en série limité à cette occasion, et encore disponible, qui tente une retrospective nécessairement incomplète vu la quantité de travail que ce photographe a produit.
Ce que j’ai appris: Qu’il vaut mieux y aller que de se demander comment y aller.
Pencher l’horizon permet de gommer le fond pour mettre l’accent sur le sujet. L’arrière plan devient une texture abstraite.
J’ai appris à cette belle expo qu’un cadre gris neutre fait ressortir les blancs de la photo, en renforçant les noirs. Il n’y a pas de lutte entre les noirs (cadre-tirage).
Merci pour ton retour Thierry,
Concernant le cadre gris, je ne m’étais jamais fait la remarque sous cet angle, mais exprimé comme cela ça tombe d’équerre!
J’y voyais plus un ancrage moyen, mais c’est une formalisation qui a un goût de jus de chaussette à côté de la tienne 😉
Pour les fonds penchés en effet on tue l’assise, pour ma part moins qu’un accent sur le sujet cela projette une dynamique vivante presque vibratoire (en fumant un peu…) dans une image intrinsèquement figée. C’est également la marque, l’empreinte du photographe qui s’inscrit en filigrane dans toute l’image, un choix significatif dans un domaine oú souvent l’observateur cherche à s’effacer.