Le film inversible ou pellicule diapositive est un excellent moyen, sinon le meilleur, de se familiariser avec les bases techniques de la photographie: exposition, balance des blancs, contraste etc …

Illustration: Diapositive, Slide

Cela tient surtout du fait que le laboratoire qui effectue le développement, ne peut corriger les choix délibérés du photographe y compris ses erreurs. De fait les tireurs avaient toujours à disposition la colorimétrie exacte de l’image positive directe comme référence.

Il existe aujourd’hui peu de pellicules diapositives disponibles sur le marché. Une bonne part d’entre elles restent chères.

Elles sont toutes en couleur sauf quelques rares exceptions dont l’Agfa Scala en noir et blanc. Leur procédure de développement noir et blanc ne sont pas au standard E-6 ce qui les rend difficile d’utilisation. Film Ferrania dont je soutiens le projet et qui envisage de mettre en production un nouveau film inversible, dans une gamme de prix supposée non élitiste, n’est pas encore parvenu au stade de production.

Parmi les films inversibles les moins chers du moment on trouve donc:

 

Photo Argentique Agfa precisa vs rollei cr200 boites 001

 

  1. l’Agfa Precisa CT 100, sensibilité affichée: 100 ISO. Une émulsion normée E-6 balancée pour la lumière du jour.
  2. La CR 200 Chrome de chez Rollei avec une sensibilité affichée de 200 ISO. Une émulsion normée E-6 annoncée pour donner des images aux couleurs saturées.

J’ai choisi de comparer ces 2 films pour leur relatif faible coût afin de déterminer lequel des deux est le mieux placé pour se familiariser avec la technique photo en argentique.

Apprendre n’empêche pas de s’amuser et on verra un autre jour comment on peut marthyriser ces films avec le traitement croisé (cross processing).

Illustration: Diapositive marthyrisée, Marthyr Slide

Rappel historique: la fonction du film inversible (diapositive) qui donne une image positive directe a surtout été

  1. De donner des images aux couleurs plus riches et chatoyantes que les films négatifs de la même époque
  2. De produire des photos avec une quasi (voire totale) absence de grain
  3. De fournir une image positive directe non modifiable très utile pour les imprimeurs

Ces trois critères en ont fait la référence des revues photos très en vogues comme le National Geographic (Steve McCurry’s Afghan Girl a été capturé sur Kodachrome 64, un film inversible aujourd’hui disparu), mais aussi de la presse sportive, de la publicité, de la mode etc …

Bref tout ce qui demandait des images aux belles couleurs dans de grandes tailles,  avec toujours moins de grain pour un rendu plus « net ».

Dans le langage courant l’appellation « chrome » fait référence à un film inversible, une diapositive.

L’intérêt de la CR200 est bien entendu sa sensibilité affichée de 200 ISO. Elle semble donc plus intéressante que la Precisa (100 ISO) sur le papier. Mais qu’en est-il sur les images ?

 

1. L’aspect général

 

 AGFA Precisa CT 100 versus Rollei Chrome CR200Photo Argentique diapositives Agfa precisa vs rollei cr200 slide

 

 Ouille ça pique hein ? on voit immédiatement la …TZZ… différence. Juste au dessus c’est une vue faite au « smartphone » des deux diapos posées sur une tablette numérique. Simplement pour montrer l’aperçu que tout un chacun peut obtenir sans chichi ni photoshop.

Prise de vue:

  • Appareil & optique: Zeiss Ikon ZM plus Zeiss Biogon 35mm F/2
  • Exposition: Règle du F/16 pour éviter tout problème de mesure. Ciel bleu dégagé scène plein soleil donc F/16
  • Valeur d’expo. pour chaque film: CR200: 1/1000 sec. à F/8, Precisa:  1/500 sec. à F/8

Voyons du côté des scans de base:

 

AGFA Precisa CT100 à EI 100

Illustration: La Photo Argentique Agfa precisa box speed 006

Rollei Chrome CR200 à EI 200

Illustration: La Photo Argentique Rollei CR200 box speed 005

AGFA Precisa CT100 à EI 100

Illustration: La Photo Argentique Agfa precisa box speed 008

Rollei Chrome CR200 à EI 200

Illustration: La Photo Argentique Rollei CR200 box speed 007

 

Ce qui saute aux yeux bien sûr c’est la différence de teinte générale des images. La CR200 est clairement plus jaune. Il est difficile d’y voir une différence de saturation à cause de cette jaunisse. Voyons ce que cela donne en corrigeant la teinte jaune de la CR200 afin de juger la différence de saturation.

 

AGFA Precisa CT100 à EI 100

Illustration: La Photo Argentique Agfa precisa box speed 006

Rollei Chrome CR200 à EI 200 teinte corrigée

La Photo Argentique Rollei CR200 box speed WB corrected 009

 

On commence à y voir plus clair. Alors la CR200 donne-t-elle des couleurs vraiment plus saturées que la Precisa ? Non car l’impression de saturation un peu plus élevé provient du fait que ce film est visiblement plus contrasté que la Precisa. Or on sait qu’en augmentant le contraste on contribue à l’intensification des couleurs, on les sature un peu plus.

On note que sur la boite de chaque film couleur il est logiquement indiqué pour quelle type de lumière le film est balancé. Seule la boite de la Precisa mentionne [Lumière du jour / Flash], la boite de la CR200 ne mentionne rien, mais avec cette teinte très jaune il faudrait une lumière très bleue pour compenser, au fond des bois ? Plus sérieusement la fiche fabriquant indique 5500K, lumière du jour donc …

La CR200 un film particulièrement saturé ? non.

En creusant un peu il semble que cette jaunisse provienne d’un problème de traitement du labo. Il se dit que les chimies du labo traitant doivent être absolument irréprochables afin d’éviter cette teinte jaunâtre. Oui mais la Precisa a été traité par le même labo standard-grand-public sans souci.  Plus d’infos sur ce problème à lire ici. En resumé pour éviter la teinte il faudrait tomber sur LE bon labo et exposer au millimètre près. Faisable mais peu pratique me semble-t-il pour qui veut échaper à la jaunisse …

 

 

2. Le grain

 

Avec une pellicule de sensibilité plus élevée on s’attend bien sûr à une petite augmentation du grain. Voyons plutôt avec un zoom sur le ciel, scans non accentués d’où l’absence de netté (clique pour agrandir) :

 

AGFA Precisa CT100 à EI 100

La Photo Argentique Agfa Precisa grain 011

Rollei Chrome CR200 à EI 200 teinte corrigée

La Photo Argentique Rollei CR200 grain 010

 

Tu m’excuse les scans non nettoyés, pour ce type d’images d’illustration technique je vois peu d’intérêt à perdre du temps là dessus … Bref le grain de la CR200 est bien plus apparent qu’attendu pour seulement un doublement de sensibilité.

Comparons le grain à celui de films noir et blanc bien connus, développés dans des révélateurs non moins courants (clique pour agrandir):

 

Tri-X à EI 200 dans HC110

La Photo Argentique TriX HC110 grain 015

HP5+ à EI 200 dans R09 (Rodinal)

La Photo Argentique HP5 Plus Rodinal grain 014

AGFA Precisa CT100 à EI 100

La Photo Argentique Agfa Precisa grain 013

Rollei Chrome CR200 à EI 200 teinte corrigée

La Photo Argentique Rollei CR200 grain 012

 

On ne peut pas particulièrement dire que le grain de la CR200 soit dans l’interval standard de ce que l’on attend d’un film inversible. De son côté le grain de la Precisa est tout à fait dans les normes attendues ie quasi absent et donc bien inférieur à celui de la Tri-X qui est un film plus sensible, tout est normal.

Au passage on note bien le grain  moins apparent de la Tri-X développée au HC110 comparé à l’HP5+ développée au Rodinal qui accentue le grain. Tout est normal.

Ce qui ne l’est pas, normal, c’est le niveau de présence du grain dans un film inversible de sensibilité 200 ISO, comparable à un film négatif noir et blanc de sensibilité plus élevée développé dans du Rodinal !

Le label « créatif » du film commence à pointer son nez …

Jusqu’ici pour un film standard au tarif raisonnable la Precisa semble remporter la mise. Mais elle n’est pas exempte de petits défauts. Creusons un peu plus.

 
 

3. Sensibilité et Dynamique

 

 

Precisa CT100 EI 200

La Photo Argentique AGFA Precisa CT100 019

Precisa CT100 EI 100

Illustration: La Photo Argentique Agfa precisa box speed 006

Precisa CT100 EI 50

La Photo Argentique AGFA Precisa CT100 020

Precisa CT100 EI 25

La Photo Argentique AGFA Precisa CT100 021

Rollei CR200 EI 400

La Photo Argentique Rollei CR200 016

Rollei CR200 EI 200

Illustration: La Photo Argentique Rollei CR200 box speed 005

Rollei CR200 EI 100

La Photo Argentique Rollei CR200 017

Rollei CR200 EI 50

La Photo Argentique Rollei CR200 018

 

 

Ici je suis allé au plus simple: même scène, même éclairage (F/16), même combo appareil/optique, je n’ai fait varier que la vitesse d’obturation afin de vérifier ce qu’on est en droit d’attendre de ces deux films.

Ce qui vient n’est surtout pas scientifique mais ô combien empirique et avant tout utile !

Sensibilité: Les zizos (ISO) ça veut dire quoi? Simplement qu’un film utilisé à sa sensibilité ISO nominale sera correctement exposé. Facile à vérifier en diapo (moins simple en négatif) empiriquement: le niveau d’exposition est certain (soleil, ciel bleu, F/16 etc …) donc on apprécie à l’oeil la qualité du résultat: trop clair, trop sombre, ou juste bon. A l’oeil ça veut dire qu’on aura autant de résultats que de personnes, je ne livre donc ici que mon goût personnel qui dans ce cas précis n’est pas singulier.

Pour ma part la Precisa nécessite un poil plus d’exposition qu’à EI 100 (ISO 100), mais à EI 50 on perd un peu trop en densité, l’image semble un peu trop légère. Dans la pratique pour une scène contrastée de ce type j’ajouterais bien 1/3 à 1/5 diaphragme. La sensibilité de 100 ISO donnée par le fabriquant me semble donc réaliste, 1/3 à 1/2 diaph. de plus c’est une affaire de goût essentiellement, car l’image est tout à fait exploitable à EI 100.

Concernant la CR200 là pour le coup je suis persuadé que ce film doit être surexposé de un diaphragme (soit EI 100) par rapport à ce qu’indique le fabriquant (ISO 200). Pour moi l’image de référence à EI 200 et trop sous exposée.

Sans tenir compte de mon goût il apparait évident avec ces images qu’obtenir une exposition comparable pour ces deux films revient à surexposer la CR200 d’ un diaphragme par rapport à la sensibilité donnée par le fabriquant.

 

 

Precisa CT100 EI 200

La Photo Argentique AGFA Precisa CT100 022

Precisa CT100 EI 100

Illustration: La Photo Argentique Agfa precisa box speed 008

Precisa CT100 EI 50

La Photo Argentique AGFA Precisa CT100 023

Precisa CT100 EI 25

La Photo Argentique AGFA Precisa CT100 024

Rollei CR200 EI 400

La Photo Argentique Rollei CR200 025

Rollei CR200 EI 200

Illustration: La Photo Argentique Rollei CR200 box speed 007

Rollei CR100 EI 100

La Photo Argentique Rollei CR200 026

Rollei CR200 EI 50

La Photo Argentique Rollei CR200 027

 

On contate la même chose sur cette dernière série de tests d’expositions: il faut bien surexposer la CR200 d’un diaphragme pour la faire correspondre à une exposition équivalente sur la Precisa.

On constate de même qu’on perd du détail dans les hautes lumières: les tons de la fleur blanche dès un diaphragme de surexposition sur la Precisa. On confirme bien ici la précison que requiert l’exposition d’un film inversible. Un négatif couleur pourra encaisser jusqu’à 4 diaphragmes de surexposition sans broncher, et même parfois plus!

La CR200 semble avoir une dynamique plus étendue car on perd du détail dans les hautes lumières autour de 2 diaphragmes de surexposition. Mais si on considère que la sensibilité de la CR200 est en fait de 100 ISO elle revient sur un pied d’égalité avec la Precisa.

Concernant les détails disponibles dans les ombres, on reste bien sur un comportement diapo des deux côtés, les détails sont très limités. C’est particlièrement évident sur la lumière très contrastée retenue pour cette comparaison. La dynamique de ces deux films n’apparait donc pas différente à l’oeil.

Le contraste de la CR200 surexposée de un diaphragme converge vers celui de la Precisa même s’il reste malgré tout un poil plus prononcé.

 
 

Conclusion

 

Compte tenu des divers attributs particuliers la pellicule Rollei Chrome CR200 n’est pas le film idéal pour faire ses armes en photo argentique.

L’Agfa Precisa CT100 qui n’est pas exempte de petits défauts est en revanche beaucoup plus neutre et moins délicate. Ce qui avant la sortie de l’inversible made in Film Ferrania en fait sans doute le meilleur rapport qualité prix comme pellicule d’apprentissage en photo argentique. Vive la diapo!

Le film inversible ou diapositive se rapproche en tout point de la technique numérique en terme d’exposition … C’est la meilleure passerelle pour une transition tout en douceur vers le monde merveilleux de la photographie analogique 🙂

Je ne rejette pas pour autant la CR200 de chez Rollei, simplement ce n’est pas le meilleur support pour démarrer. En revanche pour s’amuser elle sera tout à son aise, car si la tonalité jaune ne convient pas à certain elle fera le bonheur de beaucoup d’autres. De plus, particulièrement sensible aux fuites de lumières (feutrines de la cartouche qui laissent à désirer), elle peut offrir beaucoup de surprises colorées pour ceux qui en sont friands … Voici à titre d’exemple les deux premiers clichés de la pellicule utilisée pour ce test (le troisième -sans carabistouille- apparait plus haut):

 

Rollei CR200 EI 200

La Photo Argentique Rollei CR200 028

Rollei CR200 EI 400

La Photo Argentique Rollei CR200 029